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Ce matin, suite à l’annonce de la découverte du cadavre d’un adolescent porté disparu depuis quelques jours, les commentaires allaient bon train sur 20Minutes.fr : « Il y en a assez que vous ne parliez que des faits divers dramatiques, c’est démoralisant », disaient-ils en substance. C’est vrai : c’est démoralisant. Impossible d’ouvrir un journal sans se prendre une avalanche de mauvaises nouvelles à la figure ; impossible de se balader sur Internet sans ne lire que des histoires de morts, de disparitions, d’accidents ; impossible – parait-il, ça fait longtemps que je n’ai pas essayé – de regarder la télévision sans voir du sang, des tripes et des larmes.


Lire le journal sans tomber du côté obscur de la force : de la science-fiction ?

Et les lecteurs, les spectateurs en ont assez. Ils ont raison. Mais l’acceptent, parce qu’ils croient ne rien pouvoir faire. A mon avis, ils ont tort. Au moins sur Internet.

A ce point du texte, je suis obligé de vous parler un peu de moi. Ce n’est pas parce que je confonds « blog » et « divan du psy », c’est parce que c’est important pour la suite du raisonnement. Je suis journaliste-secrétaire de rédaction, sur un site Internet que je ne nommerai pas parce que j’ai signé un papier qui me l’interdit, et que je tiens pour l’instant à garder mon poste. Ou au moins à claquer la porte volontairement. Mon métier consiste à mettre en forme les articles fournis par les rédacteurs, dans le but de faciliter leur lecture sur écran. Et également à rédiger la titraille de telle façon que 1. l’on puisse trouver ces articles sur les moteurs de recherche, 2. le lecteur qui parcourt la page d’accueil de mon site soit attiré vers chaque article, et, idéalement, clique sur chaque titre pour lire chaque article. Le tout selon des méthodes assez strictes, qui entrainent des désagréments dont le détail n’a pas sa place ici. (En revanche, y’aurait un bon paquet de choses à dire là-dessus, ça fait parti des articles que je veux écrire depuis longtemps. Un jour, si j’ai le courage de scier la branche sur laquelle je suis en train d’essayer de m’asseoir.)

Pour le moment, c’est le point 2 qui nous intéresse. Pourquoi diantre veut-on tellement que le lecteur clique sur le titre de chaque article ? Les naïfs qui ont répondu « Parce que l’objectif de tout patron de presse est de diffuser l’info auprès d’un maximum de gens, bicoz que libération par l’information, tout ça » ont droit à une seconde chance. Non, bande d’indécrottables idéalistes : si les patrons de presse veulent que les gens cliquent, c’est parce que les tarifs publicitaires de leur site sont fonction du nombre de pages ouvertes. Plus les gens cliquent, plus les annonceurs paient. Là où ça devient intéressant pour nous aujourd’hui, c’est qu’évidemment les journaux ont tous plusieurs outils d’analyse destinés à étudier le comportement du lecteur. Des outils dont les résultats sont étudiés en conf’ de rédac’, ou au moins chez les directeurs. C’est là que je voulais en venir : si un jour ces gens découvrent que les articles marchant le moins bien sont ceux traitant de désastres, et qu’au contraire ceux parlant de choses positives, drôles, bonnes pour le moral, ceux-là atteindront les plus hauts taux de clics, ce jour-là, les rédac’ chefs tiendront à peu près ce langage à leurs journalistes : « Bon, coco, ton article sur la femme coupée en rondelles a été vu 12 fois, alors que celui de coco sur ce mec qui avait décidé de vivre sans essence pendant 3 mois pour prouver que c’est faisable et qu’on peut réduire notre consommation énergétique sans trop de contraintes invivables a été lu 12 000 fois, un record. Alors maintenant, les femmes coupées en 12, c’est dans la colonne ‘En Bref’, et on ne trouve plus que des sujets sur des familles qui se retrouvent, des disparus qui réapparaissent, des gens issus de milieux aisés qui ont le bac mention très bien, des initiatives locales pour vivre mieux et moins cher, des types qui font avancer leurs bagnoles avec de l’huile récupérée au McDo du coin, des mecs qui cultivent la terre en respectant le rythme naturel et sans pesticides, des villages vieillissant qui renaissent grâce à l’arrivée d’une famille nombreuse, des écoles qui apprennent aux enfants à réfléchir plutôt qu’à ânonner le discours ambiant… Vous allez être positifs, bordel, sinon c’est ma main dans la gueule et l’ANPE ! »


Une famille qui se retrouve : « Un beau sujet, ça, coco ! »

Vous m’avez compris : si vous en avez marre de vous plomber le moral à chaque fois que vous ouvrez le journal, la radio ou la télé, ne cliquez plus que sur les titres qui vous promettent de la joie, de l’espoir, du soulagement. Et boycottez les autres. De même, éteignez votre télé quand la blondasse télévisée prend sa tronche d’enterrement forcée, et n’achetez vos journaux qui si la Une vous annonce un peu d’optimisme.

Et vos pages Internet se couvriront de sourires, vos kiosques s’habilleront de regards plein de vie, vos télé résonneront de chants de joie.

Et vous arriverez au boulot contents de voir que le monde ne va pas si mal que ça. Et vous terminerez votre diner en discutant de la dernière invention permettant d’économiser l’énergie au quotidien, et vos aimerez votre kiosquier, qui ne demande que ça.

Cadeau bonus : un peu de joie en musique. Âmes sensibles, s’abstenir : la joie est parfois violente 😀