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Il y a quelques jours, je vous racontais comment j’avais été victime d’un viol. Un témoignage choc et effrayant. Eh bien il me faut vous l’avouer : ce n’était pas la première fois. Et je suis au regret de vous informer que vous l’avez subi aussi, à moult reprises.

Rappelez-vous.

Vous étiez chez vous, un soir, après une rude journée de boulot, et, si vous êtes Parisien, quelques heures de transports en commun. En rentrant, vous aviez retiré votre manteau, enlevé vos chaussures, embrassé le chien puis votre femme (ne niez pas, tous les hommes qui ont un chien font les choses dans cet ordre), puis vous vous étiez affalé sur votre canapé ou dans le fauteuil en cuir du salon avec un grand soupir de soulagement. Enfin tranquille : plus de patron pour vous gueuler dessus, plus de musicien folklorique pour vous jouer de l’accordéon, plus de collègue idiot qui comprend rien, plus de jeune con qui écoute son bruit sur son portable à plein volume… Là, enfin, tout n’est que calme et volupté.

Quand soudain le téléphone sonne… Première agression. Vous aimeriez laisser sonner, ne pas entendre, ne pas bouger. Mais vous ne résistez pas à l’appel de l’objet, vous n’êtes plus vous-même ; vous cédez, courrez chercher l’appareil, décrochez. Il est trop tard pour reculer.

« Allo, je vous appelle pour vous proposer une assurance formidable / des fenêtres qui changeront votre vie / une cuisine équipée faite avec le même matériau que la fusée Ariane. »

Drame. Horreur.

Vous ne serez plus jamais le même.

Aujourd’hui, les moyens qui sont mis à disposition des violeurs publicitaires sont de plus en plus étendus. Qui d’entre vous n’a pas reçu un jour un SMS l’informant que « Un ami vous a envoyé une vidéo, allez sur le site tagadaploum.ploum pour la visionner » ? Pub, évidemment.

J’ai même été appelé l’autre jour par un robot qui, à peine avais-je décroché – alors que j’étais au boulot, mais j’attendais un coup de fil vraiment important -, se mit à me raconter je ne sais quelle absurdité publicitaire. Un coup de fil. Au boulot. Si ma fiancée faisait ça, je la tancerais d’importance : quand je suis au boulot, je bosse, qu’on ne me fasse pas chier avec autre chose. Et un inconnu qui n’existe même pas en vrai se permet de le faire ? Et puis quoi encore ?

Et évidemment, tout ça ne va pas aller en s’améliorant. Au contraire : bientôt ils pourront à chaque appel ou à chaque SMS nous proposer un truc qui nous tentera vraiment (parce qu’il est vrai que le pouvoir attractif d’une cuisine équipée est relativement faible sur moi, par exemple). Google le fait déjà : en analysant nos mails, ils sont capables de cibler les publicités qu’ils nous proposent. Idem pour Facebook, d’ailleurs.

Et le pire, c’est que Google et Facebook ont… nos numéros de téléphone, et s’ils ne l’ont pas encore, ce n’est qu’une question de temps : pour le moment on a le choix de le donner ou pas, quoiqu’ils soient de plus en plus insistants. Un jour, ils rendront la chose obligatoire. Ça l’est déjà, à l’inscription, sur Facebook.

Le résultat est vicieux : il va devenir de plus en plus difficile de résister à la publicité, puisqu’elle s’adapte à ce qu’on veut. Ce qu’on veut, pas ce dont on a besoin…

La méthode l’est encore plus : la publicité, de plus en plus, s’immisce dans nos vies privées. Dans sa diffusion (appels téléphoniques à des heures indues, textos, baffles dans la rue…) comme dans sa prospection (mails et profils Facebook analysés…) Vie privée qui est le dernier rempart derrière lequel l’homme moderne pouvait encore se protéger du mercantilisme forcené du monde : on pouvait refuser d’écouter la radio et de n’écouter la musique que sur CD, on pouvait décider de tourner rapidement les pages d’annonces de nos journaux, on pouvait décider de couper la télévision pendant la pause. On ne le peut plus, à moins de ne pas avoir de téléphone et de ne même pas aller lire ses mails.

Parce que l’homme n’est plus qu’un maillon de plus dans la chaine de la consommation, il n’en est plus la finalité. On ne pense plus son produit en fonction de son utilité pour l’homme : on adapte les désirs envies de l’homme au produit qu’on veut lui vendre. On ne cherche plus la croissance pour que l’homme bénéficie d’une vie meilleure : on fait croire à l’homme qu’il a besoin de la croissance pour vivre mieux bien.

On ne met plus le système au service de l’homme : on met l’homme au service du système.