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C'est habile Bill, L'enfant est le consommateur idéal, Qui ne vit que pour lui consomme pour quatre
Enfin, j’ai pu la prendre en photo !!! Cette superbe affiche, je la voyais à chaque fois que je prenais la route, et je ne pouvais la photographier, rapport au fait que je n’ai que deux mains et que je ne pouvais les avoir à la fois sur le volant et sur l’appareil photo. Cette fois-ci, j’ai mis ma femme au volant pour pouvoir prendre la photo, c’est dire si je suis prêt à tout risquer pour vous, chers lecteurs. Et voilà ce que ça donne :
Pour les aveugles qui me liraient, je précise qu’il s’agit d’une affiche, posée au bord de l’autoroute, où l’on voit une tortue joviale prononcer ces mots : « Des travaux ? Je ralentis, c’est tout bête ». Elle en a remplacé une autre où un ours fatigué, un oreiller à la patte, nous affirmait : « Je n’oublie pas la sieste ». Et encore avant l’ours, je me souviens d’une affiche rappelant que « Même les super-héros respectent les limitations de vitesse », avec un truc ressemblant à la batmobile roulant scrupuleusement à 130 au risque de laisser au méchant le temps de se barrer à bicyclette ou en moonwalk…
À chaque fois que je passais devant ces affiches, je bondissais, et me cognais donc violemment la tête au plafond de la voiture, ce qui est un peu dangereux quand on est au volant ; encore plus que d’y laisser sa femme. C’est pourquoi je vais aujourd’hui vous parler de ces affiches, comme ça la prochaine fois je me dirai « C’est bon, j’en ai déjà parlé, pas la peine de bondir, calme-toi mon grand », et ça sera beaucoup plus sûr.
Et pourquoi donc bondissais-je ? Pour deux choses.
L’adulte moderne,
cet éternel adolescent
La première, c’est que ces affiches sont des exemples parfaits de l’infantilisation permanente à laquelle notre société soumet ses membres. Rappelons que ces affiches s’adressent aux conducteurs des véhicules circulant sur l’autoroute. Il me semble qu’en France il n’est pas autorisé de conduire avant ses 18 ans. Et également que, normalement, à 18 ans, on ne regarde plus tellement Père Castor et autres dessins animés mettant en scène des tortues hilares ou des ours grognons. Et pourtant, ce sont ces personnages enfantins qui nous sont collés sous le nez. Et pourquoi ? Au nom de la Sainte Sécurité Routière, cette sainte laïque qu’on invoque à tous bouts de champs pour justifier ici une interdiction de téléphoner dans l’habitacle de sa voiture, qui est pourtant un lieu privé où l’on devrait donc être libre de faire ce qu’on veut, là une ponction de 111€ pour avoir roulé à 135 au lieu de 130, ce qui fait sûrement une différence énorme quand tu te prends un mur : 130, t’es cool, ça va, mais 135, t’es mort. Ah oui, ça change pas mal.
C’est pourtant un truc important, la Sécurité Routière (je mets des majuscules parce qu’on les entend très bien quand un journaliste ou un politique prononce ces deux mots : eux qui ne respectent plus rien se mettent soudain à murmurer comme on le faisait jadis dans une église…). Rappelons que le principe de départ est d’éviter que des gens se tuent en allant passer le WE chez Papi et Mami, ce qui est une cause noble. Et pourtant, cette cause juste, qu’ils ont élevée au rang de quatrième valeur de la République, ils ne savent la défendre autrement qu’avec des tortues réjouies et des nounours à la gueule de bois.
On pourrait croire à un détail, mais non : c’est volontaire, c’est étudié, c’est fait exprès. L’objectif est de garder l’adulte français dans un éternel état d’enfance.
Parce qu’un enfant c’est capricieux, ça a envie des bonbons quand il passe devant le magasin de bonbons, d’un tour de manège quand il passe devant le manège et d’une nouvelle voiture quand il passe devant un magasin Mercedes.
Parce qu’un enfant croit encore au Père Noël, il croit encore qu’écrire ce qu’il veut sur un papier et le glisser dans une urne la boite aux lettres servira à quelque-chose, il croit encore que s’il est sage il aura plus de cadeaux que s’il n’est pas sage.
Parce qu’un enfant croit ce qu’on lui dit, même si on lui dit que la crise est derrière nous, que la croissance nous sauvera, que le changement c’est maintenant, qu’ensemble tout devient possible.
Parce qu’un enfant ne se demande pas d’où il vient, où il va, pourquoi le monde est monde et pourquoi la mort à la fin, mais se contente de demander quand est-ce qu’on mange, est-ce que je peux regarder la télévision, est-ce que cet été on pourra retourner en vacances à Saint-Trop. [Edit : ce paragraphe est largement à nuancer. Ce que fait le paragraphe qui arrive maintenant.]
Parce qu’un enfant, quand il pose trop de questions, on peut toujours l’envoyer jouer au foot dehors ou regarder la télé.
Parce qu’un enfant, ça bouffe, ça dort, ça fait aveuglément confiance à ses parents pour savoir ce qui est bon pour lui.
En gros, un enfant, pour les gens qui nous dirigent, c’est le rêve. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils aimeraient bien abaisser l’âge du premier vote.
Et ce n’est évidemment pas un hasard si, dans le même temps, on veut commencer à parler de cul aux enfants dès la maternelle : pour amener l’enfant et l’adulte à se confondre, le plus efficace est encore de parler à l’adulte comme à un enfant, et à l’enfant comme à un adulte. Simultanément.
Disparition de l’individu,
dissout dans son propre égoïsme
L’autre chose qui m’énerve dans cette affiche (celle du début de l’article), c’est l’usage systématique du « je ». Il apparait assez clairement que le vrai sujet de la phrase prononcée par la tortue n’est pas la tortue, mais bien le conducteur qui lit l’affiche. Pourtant, la tortue dit bien « je ». De même que les bulles dans le métro parisien disaient « je » :
Ou « ma », ce qui revient au même :
Alors que, tenez-vous bien, ce ne sont pas les bulles qui préparaient leur sortie ou laissaient descendre avant de monter. Je sais, c’est à peine croyable : en fait, c’est l’usager du métro qui était invité à agir ainsi ! Dingue, non ? Passons rapidement sur le fait que la RATP, et avec elle la Société des autoroutes Paris-Normandie, nous prend pour des crétins, parce que j’en ai déjà parlé sur mon ancien blog (dans un article que vous pourrez retrouver dans mon Meilleur du meilleur, soit dit en passant…), pour nous concentrer sur cet usage systématique du « je ». Que signifie-t-il ?
Ce qui me frappe tout d’abord quand je vois cette affiche, c’est cette façon qu’elle a – sous des dehors éminemment inoffensifs – de faire disparaitre l’individu réel (le conducteur) derrière un personnage générique (la tortue choupinette). Le conducteur, par la force du « je », devient cette tortue dessinée ; il n’est plus une personne, il n’est que l’un des multiples avatars de cette tortue. Il n’est plus un homme, il est ce que le dernier mot de la phrase commencée par « je » lui dit d’être : une « bête ».
Je pense qu’on peut aussi y voir une volonté d’accentuer l’égoïsme naturel de l’homme, égoïsme qui – et particulièrement dans le métro – devient un outil indispensable de survie. L’égoïsme a toujours existé, évidemment, mais certaines sociétés l’atténuent (les premières Églises, par exemple) quand d’autres l’accentuent. Une société où les places sûres sont chères pousse l’homme à plus se préoccuper de lui que des autres. Il est évident que les gros chiffres du chômage sont un terreau particulièrement propice à la prolifération de cet égoïsme. Et l’égoïsme ne s’exprime-t-il pas par le « je » permanent ? « Moi d’abord », chantaient les Wriggles ; « je », « je », « je », nous assènent les bulles multicolores du métro, les affiches au bord de l’autoroute et les questions du code de la route… En considérant que l’individu ne se sentira pas concerné par une affiche ou un panneau s’il n’y lit pas « je fais ceci », « je fais cela », on l’enferme dans sa perception du monde limitée à son nombril.
Et qu’y a-t-il de plus égoïste qu’un enfant ? Ce qui nous renvoie à notre première partie…
Pour conclure, n’oublions pas que la publicité précède la société autant qu’elle la suit. Il est donc probable qu’un jour nous verrons nos murs se couvrir de ces bulles multicolores. Au restaurant d’abord :
Puis jusque dans nos chiottes :
Et enfin jusque dans l’intimité des couples :
Et si jamais certains rechignaient encore, alors il ne resterait plus qu’a envoyer les CRS sur les dangereux fascistes :
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« Parce qu’un enfant ne se demande pas d’où il vient, où il va, pourquoi le monde est monde et pourquoi la mort à la fin »
L’erreur classique, vu de l’extérieur. Parce qu’un enfant, bien au contraire, tourne en permanence autour de ces questions qu’il n’est pas capable de formuler ainsi. Bien plus que les adultes, il se concentre sur l’essentiel sans chercher à l’esquiver parce que ça le chatouille un peu trop dans son confort et ses certitudes. Toutes questions, d’égale importance (ex : « comment la mort de Jésus peut nous sauver ? » ou « on est dimanche soir alors mon dîner sera bien un biberon de lait ? » , visent à ordonner la réalité dans laquelle il vit et le principe invisible qui la sous-tend.
D’où la difficulté d’être parent, quoi. Et d’où, surtout, le « soyez pareil à ces petirs enfants »…….
Ce n’est pas parce qu’on parle à un flic qu’il faut faire des fautes de français, Fik.
« Je me laisse interpeller », même si l’on prononce interpeuler. C’est comme ça.
Les légendes sur les trois dernières images sont (presque) toutes interchangeables 🙂
Vous êtes jeune! Moi, j’ai commencé à bondir quand j’ai appris que les informations routières m’étaient communiquées par Bison futé!
Héhé ! Même remarque qu’ArmL. Cela dit, Fik y répond par la suite: disons plutôt qu’un enfant, c’est quelqu’un dont on n’attend pas qu’il pose ce genre de questions; c’est quelqu’un chez qui on pourra se permettre d’étouffer ces questions, ou de les esquiver, en lui répétant sur un ton doucereux, puis agacé, que ce n’est pas de son âge. C’est exactement ce que fait la République des experts : taisez-vous, ignares, et laissez la parole à Ceux qui Savent. Aux vraies grandes personnes.
Il serait juste également de souligner que ces techniques d’infantilisation et de glorification du petit « je » puéril sont loin d’être l’apanage de l’Etat; il n’est même pas sûr qu’il ait commencé (en fait, il a plutôt étendu aux adultes les procédés de réclame hygiéniste que, dans les années 70-80, on destinait aux enfants du primaire); ce virage s’est également, voire d’abord, opéré dans la publicité, je dirais au début des années 90 – je suis un peu jeune pour avoir du recul sur les périodes antérieures. Pas besoin d’exemples, on en a tous à l’esprit. J’en citerai un seul, une pub de banque, il y a deux ou trois ans : un slogan « Moi, quand je demande un crédit, je veux qu’on me réponde vite » sur une affiche où un jeu sur la taille des caractères faisait saillir, de très loin: « MOI JE VEUX VITE ».
Etat et auteurs de ces réclames poursuivent donc exactement le même objectif: nous réduire au rang d’enfants capricieux, qui lorsqu’il s’agit de petits plaisirs individuels, veulent tout, tout de suite. Les unes vendant les plaisirs, l’autre se donnant pour mission de faire sauter tous les obstacles vers les magasins, et de fermer toutes les portes autres que celles des magasins. Mais faut-il s’étonner de cette collusion ?
Par chance, nous avons encore, pour quelque temps, le droit de nous rendre compte de tout cela et de ne pas suivre. Tant de nos concitoyens revendiquent le bonheur de ne pas se poser de questions et de « jouir, jouir, jouir et jouir encore, c’est la seule morale qu’on devrait tolérer » (sic). Evidemment, le jour où ils sont frustrés, on ne les entend pas parler – juste pleurer et trépigner leur caprice.
Mais tant d’autres commencent, comme le Petit Prince, à ne plus renoncer aux questions qu’ils posent à ceux qui se sont proclamés adultes, et nous ont proclamés enfants.
Et puis, ces adultes autoproclamés sont pris à leur propre piège : eux aussi se comportent comme des mioches, et sans vergogne. Pour jouer à l’adulte, il faut au moins donner le change. Ils n’en sont même plus capables.
Cette utilisation du ‘je’ n’est-elle pas aussi un moyen de poser une règle sans utiliser d’impératif (ce mode grammatical tendanciellement fasciste, pouah) ? Le mode indicatif est quand même plus sympa. Énoncée avec un ‘je’, la contrainte semble comme déjà intériorisée…
Répétez après moi : « Je ralentis » « je fais attention » « je machin truc » « je blablabla » etc.
Bourrage de crâne.
Lavage de cerveau.
« Je ne suis pas fou. »
Tiens, je nuancerais un peu la partie sur le je, ou plutôt j’en inverserais une partie de l’analyse… n’est-ce pas parce que les gens qui veulent faire passer leurs messages de sécurité savent qu’une composante de plus en plus forte de l’être humain est l’égoïsme qu’ils cherchent à convaincre leurs destinataires que c’est dans leur intérêt de faire ce qui est dit ? Ainsi plus de monde accepterait les règles.
Blandine, les deux sont vrais.
C’est un cercle vicieux.
C’est un cercle vicieux, effectivement, mais je persiste à penser que celui qui y rentre volontairement est coupable, pleinement.
Petite pensée pour ton article ce matin, et conséquemment gros cafard, en lisant la page cinéma de ce fabuleux papier toilette qu’est « à nous Paris » : http://anous.fr/archives/paris/613/pageflip.html (article en page 42)
PMalo, dans un sens ma version me semble plus… acceptable ? dans l’intention.
j’en connais un qui va ADORER la dernière campagne de la sécurité routière : http://www.youtube.com/watch?v=nFqZUq3Gelg
ils ont parfaitement suivi tes conseils 😉
http://blogs.paris.fr/casepasseaujardin/2013/09/04/semer-pour-saimer-ensemble/
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« Le Meilleur des mondes », exactement. Je suis d’accord avec vous dans l’ensemble. Mais cependant, je m’interroge sur une chose : est-ce qu’au fond, dans le passé, ce n’était pas un peu pareil. C’est une vision un peu sombre des choses, est-il possible de vous contacter en privé ?
Postez un commentaire avec votre vraie adresse mail dans la case prévue à cet effet et je vous écrirai.
Merci !