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C'est habile Bill, Méthodologie du promoteur du grand n'importe quoi, Opposition au mariage pour tous, propagande anti-propagandiste
Vous connaissez sûrement les Shadoks : ces personnages de la série télévisée du même nom, qui ont un mode de fonctionnement bien à eux. En voici, pour ceux qui ne connaitraient pas, un petit exemple tout-à-fait révélateur.
Eh bien figurez-vous que des Shadoks, notre monde en est plein. Rappelez-vous l’une des devises les plus frappantes de ces charmants animaux : « Ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir. En d’autres termes, plus ça rate et plus on a de chances que ça marche ». Devise qui pousse nos héros à foirer lamentablement tout ce qu’ils entreprennent à un rythme soutenu, selon la logique suivante : si ça a une chance sur un million de réussir, alors plus vite on aura raté les 999 999 premières fois, plus vite on arrivera à la fois où ça marche. Si on y regarde de plus près, on constate que beaucoup de gens semblent raisonner ainsi, tout autour de nous, qui décident systématiquement, quand ils constatent un problème, d’appliquer la solution qui a le moins de chance de le résoudre, mais qui a au contraire le plus de chances de l’aggraver. Vous voulez des exemples ? J’en ai.
1. Les vendeurs de CD.
L’industrie musicale va mal : les gens n’achètent plus de musique, préférant la télécharger gratuitement. C’est un fait, c’est comme ça. Les responsables de maisons de disques en ont pris acte… et ont choisi la solution la plus débile qui soit : puisque les disques ne se vendent plus, on va dépenser moins de fric sur chaque album, pour baisser les prix ou augmenter la marge. Surtout augmenter la marge. Ainsi, on vendra moins de CD mais on gagnera toujours autant, nous, vendeurs de disques.
A court terme, c’est vrai. A long terme, c’est très con. Parce que quand on dépense moins de fric sur chaque album, forcément la qualité de l’album s’en ressent. C’est ainsi qu’on se retrouve aujourd’hui avec des CD dotés d’une pochette standardisée, et surtout sans le moindre livret. Si bien que l’acheteur potentiel n’a effectivement plus intérêt à acheter la musique, puisqu’il n’a rien de plus en achetant qu’en téléchargeant. La solution proposée ne fait en fait qu’accentuer le problème : les gens achètent de moins en moins.
Et pendant ce temps, certains artistes ont fait le pari inverse : ils ont bossé encore plus sur leurs pochettes, ils ont rempli leurs livrets de photos, de paroles, de tas de trucs, ils ont rajouté un deuxième CD de bonus à chacun de leurs albums, ils ont proposé un DVD du making of… En clair, ils ont dépensé un peu plus de fric, mais ils ont donné au type qui achète un avantage sur celui qui télécharge : un bel objet, un truc que tu es content d’avoir sur une étagère, et que tu ressors de temps en temps, avec des gestes délicats et l’œil humide, pour l’écouter en lisant les paroles et en regardant les photos de la pochette.
Ces artistes-là ont tout compris, même si pour le moment ils y gagnent peut-être un peu moins : ils entretiennent chez leurs fans l’amour de la musique, parce que chaque CD acheté prend une importance que n’aura jamais un single acheté un euro sur ITunes. Et il est évident qu’on n’achète pas quelque-chose qui a perdu toute valeur, et que quelque-chose qu’on n’achète plus perd de sa valeur. Le cercle vicieux est enclenché, se couler dedans est plus simple, mais est aussi suicidaire.
2. La presse
Le raisonnement est à peu près le même que ci-dessus : les gens ne lisent plus la presse, on décide donc de simplifier le contenu et de développer les journaux gratuits, ce qui finalement habitue le lecteur à lire des articles courts, non-développés, et gratuits. Le niveau ne peut donc que baisser, d’autant plus que la gratuité empêche d’envoyer autant de reporters qu’il le faudrait sur le terrain, et parfois même de payer des gens à recouper les dépêches AFP.
Et pendant ce temps, certains font le pari inverse : vivre sans publicité, vendre l’info à son juste prix, privilégier les reportages longs et fouillés, ne publier que tous les trois mois mais proposer un objet qui ne dépare pas dans les bibliothèques. Et ça marche : on se prend rapidement à attendre avec impatience le numéro suivant, à tout lire même si les sujets ne nous passionnent pas au départ, et à se priver d’un autre achat pour sortir les 15€ nécessaires à l’achat du numéro…
3. L’éducation nationale
C’est un fait : les enfants aujourd’hui sont gavés d’écrans, que ce soit ordinateur, télé ou même smartphone, dès leur plus jeune âge. Il en résulte une difficulté à se concentrer durablement, qui ne peut qu’avoir une influence sur leur attention en classe. Partant de ce constat, de nombreuses écoles se dotent aujourd’hui de tableaux numériques. L’argument est le suivant : en proposant aux élèves de suivre les cours sur un écran qui rend les cours interactifs, on concentre leur attention sur le cours beaucoup plus longtemps que si on les met devant un bouquin. C’est ainsi que les cartes deviennent mouvantes, que les mots se déplacent sur l’écran pour former des phrases, que les calculs se colorent. Et les enfants suivent le cours.
Dans l’immédiat, une fois encore, ça semble intelligent. Mais à moyen et long terme, ça ne fait là aussi qu’aggraver la situation, retirant aux enfants la moindre chance de travailler leur concentration, de découvrir le plaisir de lire un livre, de prendre le temps de dessiner une putain de carte de France qui déchire sa mémé. Non, tout est sur clé USB, sur écran, et passe aussi vite que tout le reste. L’enfant est entretenu dans son défaut par ceux-là même qui sont censés lui donner les moyens de s’en extraire. Si bien que dans quelques dizaines d’années, les enfants ne seront même plus capables de se concentrer sur un écran multicolore et animé plus de 30 secondes. Que fera-t-on alors ? Des cours en maximes de 140 caractères, comme sur Twitter, en changeant de sujet d’étude à chaque maxime ? Et pourquoi pas tant qu’on y est n’en viendrait-on pas à diffuser ces maximes dans les chambres à coucher, tant qu’à faire ?
Oh le joli saut de ligne !
Ces trois exemples sont tirés de trois domaines qui me tiennent à cœur, mais je suis certain que vous en trouverez d’autres dans des domaines dont j’ignore tout, et qu’ils seront tout aussi éclairant. N’hésitez pas à les partager en commentaires, ça sera intéressant. Quoi qu’il en soit, ils montrent que cette habitude de ne faire qu’accentuer les problèmes en prétendant les résoudre est très répandue, dans des domaines très différents. Ainsi, nul ne sera étonné si je remarque qu’elle est tout aussi habituelle en politique. Les décisions politiques sont une mine d’exemples, tous d’autant plus frappants qu’ils touchent à des choses autrement plus importantes pour la société que la vente de CD ou de journaux. (Encore que ça reste à discuter : une société qui tue à la fois ses artistes et ses journalistes est une société qui va très mal…)
Prenons l’exemple le plus proche de nous : le « mariage » pour tous. La remarque de départ était celle-ci : la vie est compliquée pour les couples homos qui ont des enfants. Un constat indéniable, qui a poussé nos amis Shadoks à tenter de « résoudre le problème »… en ne faisant en fait que l’aggraver : il est clair que le mariage des homos ne pourra que multiplier les cas problématiques. Et si ce n’est pas clair, je vous invite à lire cet article : cette situation n’est possible que parce que chacun des jumeaux a un des deux divorcés pour père biologique, sans quoi le principe de la garde alternée aurait prévalu. Or, dans un couple hétéro, il n’y a aucune raison valable que chacun des deux parents soit le parent biologique d’un des deux enfants, et seulement d’un des deux. Il est donc évident que cette situation ubuesque n’a été rendue possible que par le mariage homo. Et évidemment, il y en aura d’autres.
Ainsi le problème, loin d’être résolu même si on pouvait le croire en premier lieu (et nous, opposants au « mariage » pour tous, le savions depuis longtemps), est en fait aggravé à cause même de la prétendue solution.
Un autre exemple, qui n’est pas encore acté mais ça ne saurait tarder : on constate que dans notre société les vieux vivent mal le fait d’être vieux, et qu’ils ne veulent pas être un poids pour leurs enfants, la société, tout ça. Problème très sérieux effectivement. Et que proposent-ils, nos amis Shadoks, comme solution ? Supprimer les vieux qui le souhaitent : ainsi ils ne souffriront plus. Dans l’immédiat, c’est vrai. Mais ensuite ? Supprimer les vieux qui le demandent, n’est-ce pas décharger la société de son devoir de s’occuper de ses membres jusqu’à leur mort naturelle ? N’est-ce pas laisser entendre aux jeunes qu’ils seront plus heureux une fois qu’ils auront envoyé leurs vieux à la tombe ? Et surtout n’est-ce pas dire aux vieux qu’ils feraient mieux de mourir en silence le plus vite possible plutôt que nous emmerder et de coûter du fric et du temps ? Finalement, pour répondre à la détresse des vieux, on propose une solution qui ne pourra qu’accentuer la détresse des vieux. Jackpot.
Allons bon, encore un saut de ligne.
Que peut-on conclure de tout ça ? Vous le saurez en lisant la troisième partie de ce triptyque, que je rédigerai bien entendu après la deuxième partie (celle-ci étant donc la première, suivez un peu), où nous découvrirons ensemble que certains Shadoks, sous leurs airs d’abrutis incapables de voir plus loin que le bout de leur nez, sont en fait de fin stratèges, puisqu’ils font semblant de ne pas voir plus loin que le bout de leur nez pour en fait nous mener plus aisément vers l’objectif final qu’ils visent : le grand n’importe quoi.
Une deuxième partie que vous pourrez lire en cliquant ici.
Jolis sauts de ligne !
Génial !!!
Vous avez mis des mots sur ce que j’essayais d’expliquer à Amblonyx depuis des mois à propos de l’utilisation des nouvelles technologies en classe ! Merveilleux ! :o)
Merci aussi pour le reste de la réflexion.
Exemple typique : il faut plus de Technique pour nous sauver des méfaits causés par la Technique.
« Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » A.Einstein
« La stupidité consiste en faire la même chose, deux fois, de la même façon, en suivant les mêmes étapes et attendre un résultat différent » A.Einstein
^^
Je ne suis pas sûr que cela ait directement avoir avec la stupidité. Je pense plutôt que c’est un problème de stratégie de changement. « Plus de la même chose » (Watzlawick, 1975), c’est ce que nous faisons tous spontanément lorsque nous ne parvenons pas à atteindre un objectif donné, Et après tout, dans un certain nombre de cas, le fait de persister dans la même direction permet bel et bien d’obtenir des résultats. Maintenant, il est parfois utile d’adopter une position « méta », autrement dit de prendre du recul par rapport à la solution « évidente », pour réaliser qu’on aura beau faire, on ne réussira jamais à relier les neufs points du carré sans lever le crayon… sauf si on décide qu’il n’y a pas de carré. 😉
Merci pour cette réflexion pleine de vérité qui révèle une des (multiples) raisons de ma frustration quotidienne et de mon incurable nostalgie… et je crois celles de beaucoup aujourd’hui.
« On m’a trop donné, bien avant l’envie » disait Johnny ! Au lieu d’attiser un désir dans la durée et par la qualité, on le gave d’excès, d’immédiateté et de médiocrité.
Où est le temps où un ado économisait des mois pour pouvoir s’offrir le dernier album de son groupe préféré, et s’y plonger au fond de sa chambre après avoir fait durer le suspense… l’objet entre les mains… savourant ce doux privilège qui fera l’envie de tout son entourage.
Où est le temps où un gamin attendait PILOTE avec impatience pour découvrir la suite de l’histoire fantastique de cet aviateur, héros des temps modernes qui nourrit ses rêves les plus fous !
Quant à l’école… il suffit de parler avec certaines personnes âgées pour se rendre compte qu’elle n’a rien perdu de ses cours d’enfance, et qu’avec ceux-là seulement elle en sait plus que vous ! Je parle pour moi.
Et je ne m’arrête pas sur tous ces comportements autrefois évidents de protection de la famille et du plus faible, de l’apprentissage de l’endurance à l’épreuve et du sens du mérite qui s’apprenaient dès le plus jeune âge.
Mais oui, tout ceci est bien idéaliste… Les Shadocks ont probablement toujours existé, en chaque « évolution », mais j’aimerais croire que cette vision pourrait donner un peu d’espérance. Comme vous le dites, des musiciens qui ne tombent pas dans la consommation ça existe, on peut encore trouver des canards captivants qui font un vrai boulot et qui méritent leurs lecteurs, et le bon sens n’a pas encore complètement disparu, pour la plus grande joie de certains comme en témoigne par exemple votre article sur les cours Alexandre Dumas
Ce n’est pas gagné, mais je crois que petit à petit, la tendance peut s’inverser, la frustration est stérile et cache un désir qui finira bien se faire entendre, non ? Ou doit-on se résigner à la fatalité comme trop de gens ? J’essaye d’espérer un peu…
Calme, Walkelin, mon ami : c’est la troisième partie que tu me fais là 😉
Désolé, je suis allé plus vite que la musique ! Vivement la suite alors ! 🙂
Ça me va, ça prouve que ma troisième partie ne sera pas complètement à côté de la plaque 😉 Je ponds la deuxième aujourd’hui, et peut-être la troisième dans la foulée si ça coule bien.
Bon, ben je vais attendre pour commenter, alors.
Très bon !
Cela marche aussi pour la théorie du genre : les personnes mal à l’aise dans leur identité sexuelle se sentent rejetées par la société fondée sur la différence sexuelle. Donc supprimons la différence sexuelle pour tout le monde et tout le monde ira bien (proposition de Judith Butler). Ou personne, plutôt. Ou comme confondre le lien de cause à effet avec la corrélation.
@mariecroco
>> Pardon, mais ce que vous écrivez n’est pas exact. Judith Butler a proposé, tout au long de son œuvre, une réflexion sur le genre, c’est-à-dire sur l’aspect de l’identité sexuelle individuelle qui relève d’une construction socio-historique à visée normative, ce qui n’implique pas que Butler nie, comme je le lis trop souvent, la matérialité du corps. Pire, dans un ouvrage récent (« Défaire le genre », 2004), Butler s’attache à déconstruire la notion de genre et témoigne de son inquiétude quant à l’usage qui peut être fait de cette notion dans le cadre de luttes pour sa reconnaissance menées par certaines minorités, usage qui conduirait en définitive à une stigmatisation et une exclusion accrues de ces minorités. Encore une fois, il faut distinguer entre les études de genre et leur dévoiement idéologique : Judith Butler n’est pas Najat Vallaud-Belkacem. En fait, cette dernière n’a rien compris au film : elle essaie simplement, avec quelques idiotes utiles d’un certain féminisme bien français, de renverser la vapeur, c’est-à-dire de féminiser les hommes et de masculiniser les femmes, mais dans la même logique identitaire fixiste, où il y aurait d’un côté un ‘masculin’ et de l’autre un ‘féminin’ clairement définis, soit précisément ce que Butler récuse.
A reblogué ceci sur L, comme Lui and commented:
Une nouvelle génération est née, forte, raisonnée, engagée.
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