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Depuis plus d’un an maintenant, ils font bloc, défilant côte à côte lors des manifestations contre l’homophobie, argumentant ensemble lors d’interminables débats sur Internet ou lors de soirées à Versailles ou Neuilly. « Ils », ce sont les pro-mariage gay. Ce mouvement, né en opposition au mouvement d’opposition à la loi sur le mariage pour tous, faisait preuve jusqu’à ces derniers jours d’une remarquable unité. Il n’était pas rare, lors de ces fameux débats, de voir une dizaine de militants arriver à la rescousse d’un des leurs mis en difficulté par la mauvaise foi de ses opposants sur l’une de leurs nombreuses pages, et la belle solidarité avec laquelle ils parsemaient ensemble ladite page de petits dessins représentant un étron montrait bien que ces individus venant de milieux divers et variés avaient su mettre de côté leur divergences le temps d’un combat.

poopIl semblerait qu’aujourd’hui cette unité se soit fissurée. Tout a commencé à la sortie du dernier film d’Alfonso Cuarón, « Gravity » : un huis-clos dans l’immensité de l’espace, une prouesse technique pour certains, un exploit narratif pour d’autres… et un navet pour les derniers.

Ces lignes de fractures ont bien vite fait exploser le bloc des pro-mariage gay. Le cas de Jordan D. est bien représentatif de ce basculement : en un an, il a posté pas moins de 248209 étrons sur diverses pages telles que « Hollande démission », « Hollande dégage », « Pour le droit des enfants à avoir un père et une mère », ou encore « pas de bisous avant le mariage », toutes ces pages ayant manifesté d’une façon ou d’une autre leur soutien à des idées que ce jeune homme de 16 ans n’hésite pas à qualifier de « rétrogrades et nauséabondes ». Jordan a souvent croisé dans ces longues joutes un certain John V., 17 ans, qui revendique pour sa part plus de 439194 étrons postés en moins de 6 mois. Les deux jeunes gens se sont rencontrés un jour, après quelques discussions sur Internet. Leur combat commun a fait qu’ils sont bien vite devenus amis. C’est donc ensemble qu’ils sont allés voir « Gravity », dans un cinéma parisien.

Jordan raconte : « Pendant tout le film, j’ai été scotché par la maîtrise technique qui me sautait à la figure à chaque seconde. En plus, je trouve que ça ne se fait pas au détriment de l’histoire, qui est belle et forte, et touche à quelque chose d’universel en chacun de nous, tu vois ». En sortant, il tente de partager son enthousiasme avec John. Hélas, celui-ci lui répond : « C’est trop d’la merde, t’as vu, j’me suis trop fait ièch putain, t’es un boloss d’avoir kiffé c’te merde ».

Depuis, Jordan D. et John V. ne se parlent plus. Pire, John a posté un statut Facebook incriminant Jordan et le traitant de « sale bouffon d’sa rem », ce qui a définitivement sonné le glas de leur amitié. Et quand Jordan voit que John a déjà posté un étron sur le mur d’une page contre le mariage gay, il s’abstient.

Cette histoire est loin d’être un cas isolé. On peut le dire, aujourd’hui le mouvement pro-mariage pour tous souffre de ses dissensions. Les militants, qui ont déjà du mal à surmonter ces divisions, appréhendent maintenant la sortie du prochain film de Dany Boon, « Hypercondriaque » : certains ont d’ors-et-déjà annoncé qu’ils iront le voir dès sa sortie « pour rigoler un peu et se détendre », d’autres projettent de plutôt aller à la piscine ou à la patinoire « parce que Dany Boon n’a pas fait un bon film depuis… euh, depuis quoi déjà ? »

Pas sûr que le mouvement survive à ce nouveau séisme.

Cet article est évidemment une boutade et un clin d’œil. Mais à quoi, me direz-vous ? A cet article du Monde – dans lequel je suis cité – qui prétend que la quenelle de Dieudonné divise les anti-mariage gay. Une théorie absurde dans la mesure où la quenelle est totalement accessoire pour nous : elle ne touche absolument pas au cœur de notre combat. Si nous ne sommes pas d’accord à son sujet, ce qui est indéniable, on ne peut donc pas dire pour autant qu’elle nous divise, comme si c’était quelque-chose d’important pour nous. Ce qui nous divise, par exemple, c’est ce qu’on pense de l’usage de la force. Là, il y a division. Sur la quenelle, il y a désaccord, profond parfois certes, mais qui ne change rien à notre unité autour de la lutte contre le mariage pour tous.

Une belle absurdité du Monde que j’ai tenté d’expliciter avec cette petite blague 🙂