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Il y a quelque temps maintenant, la section italienne de la Manif pour tous a posté une vidéo de bilan d’une de leur manifestation : une vidéo tout ce qu’il y a de plus banal pour ceux qui suivent la chose depuis le début.

Peu à peu, la rumeur enfle : il semblerait que l’auteur de la musique utilisée pour cette vidéo ait posté un statut Facebook sur le sujet. Je file voir, et en effet :

WoodkidPro-GayEffectivement, Woodkid est un musicien français ouvertement pro-gay. Je l’avoue, ma première réaction a été de prendre ma tête à quatre mains : après avoir été épinglée pour Queen, Mika et les Village People à fond pendant les premières manifs, LMPT n’avais pas compris la leçon. Mais ce fut de courte durée, déjà parce que j’ai eu du mal à trouver les deux mains qui me manquaient, mais surtout parce que ça tourne très vite dans ma petite tête. Si je me fous complètement des Village People, j’avoue bien aimer Mika, parfois. Sa musique, pas trop, mais le bonhomme me plait bien dans The Voice, où ses remarques sont souvent judicieuses et toujours sensées. A vrai dire, si j’étais un candidat et que j’avais à choisir un coach, ce serait Mika que je choisirais. Parce qu’il est intéressant et intelligent et sympathique et tout plein de choses et accessoirement homo, ce qui ne change absolument rien tant qu’il ne me fait pas de propositions malhonnêtes. Quant à Queen, ça reste un de mes premiers coups de cœur musicaux, et Freddy est évidemment un personnage quasi-mythologique pour quiconque monte un jour sur une scène dans le but d’y faire de la musique. Là aussi, qu’il soit homo m’est complètement indifférent.

C’est cette indifférence – qui n’est pas du mépris, juste une simple constatation que ça ne change strictement rien au regard que je pose sur la personne – qui m’a amenée à cogiter un peu plus sur cette affaire.

J’ai donc pris homo (gag) Woodkid, qui déclarait qu’on n’avait sans doute même pas pris le temps de lire les paroles de sa chanson : j’ai cherché et lu le texte. Que voici, traduit par mes soins, ça vaut ce que ça vaut :

Run boy run! This world is not made for you
Cours garçon, cours ! Ce monde n’est pas fait pour toi
Run boy run! They’re trying to catch you
Cours garçon, cours ! Ils essaient de t’attraper
Run boy run! Running is a victory
Cours garçon, cours ! Courir est une victoire
Run boy run! Beauty lays behind the hills
Cours garçon, cours ! La beauté est cachée derrière les collines

Run boy run! The sun will be guiding you
Cours garçon, cours ! Le soleil te guidera
Run boy run! They’re dying to stop you
Cours garçon, cours ! Ils crèvent d’envie de t’arrêter
Run boy run! This race is a prophecy
Cours garçon, cours ! Cette course est une prophétie
Run boy run! Break out from society
Cours garçon, cours ! Libère-toi de cette société

Tomorrow is another day
Demain est un autre jour
And you won’t have to hide away
Où tu n’auras pas à te cacher
You’ll be a man, boy!
Tu seras un homme, mon gars
But for now it’s time to run, it’s time to run!
Mais pour le moment il est temps de courir

Run boy run! This ride is a journey to
Cours garçon, cours ! Cette course est un voyage
Run boy run! The secret inside of you
Cours garçon, cours ! Vers le secret en toi
Run boy run! This race is a prophecy
Cours garçon, cours ! Cette course est une prophétie
Run boy run! And disappear in the trees
Cours garçon, cours ! Et disparaîs dans les arbres

Tomorrow is another day
Demain est un autre jour
And you won’t have to hide away
Où tu n’auras pas à te cacher
You’ll be a man, boy!
Tu seras un homme, mon gars
But for now it’s time to run, it’s time to run!
Mais pour le moment il est temps de courir

Tomorrow is another day
Demain est un autre jour
And when the night fades away
Et quand la nuit disparaitra au loin
You’ll be a man, boy!
Tu seras un homme, mon gars
But for now it’s time to run, it’s time to run!
Mais pour l’instant il faut courir !

Et j’ai également regardé la vidéo. Que voici :

Et je n’ai rien trouvé, ni dans le texte, ni dans la vidéo, qui prouve à l’évidence que cette chanson est « the most pro-gay music » qui soit. Ces paroles peuvent effectivement parler d’un jeune homosexuel dans un monde « hétéro-normé », mais elles peuvent aussi parler d’un jeune handicapé dans un monde où la majorité est en bonne santé, d’un jeune de couleur dans un monde raciste… voire d’un jeune catholique dans un monde hostile à toute transcendance, tenez, au hasard. Je suis probablement « so stupid » moi aussi, mais je ne vois pas comment j’aurais pu comprendre le sens que toi, Woodkid, tu mettais derrière ces paroles. Certes, si on avait mis « Fuck you » de Lily Allen, qui commence par « So you say it’s not ok to be gay, Oh I think you are evil », on pourrait nous rire au nez, parce que ce serait effectivement complètement con. Mais là ?

Alors j’ai continué à chercher, et j’ai lu des interviews du bonhomme. Et là, effectivement, j’ai compris qu’il est clairement pro-gay, qu’il est gay lui-même, et qu’il se voit comme un militant autant que comme un artiste. Il développe à plusieurs reprises une théorie du « cheval de Troie » : « When you are an artist, you need to have a Trojan horse in your music: it looks beautiful, people love it, but inside of it you can have something that is even more insidious, indicating, and a sense of death, that’s how you can change things » (Source).

C’est d’ailleurs à cette idée – tout à fait intelligente par ailleurs, mais complètement bateau venant de lui puisque c’est exactement ce que font 90% des artistes depuis des décennies, et toujours dans le même sens si bien que la subversion a complètement changé de camp – qu’il a fait allusion une heure après son premier post sur Facebook, en se félicitant de ce que ça marchait (sans que je comprenne bien d’ailleurs en quoi ça marche dans cet exemple précis).

Woodkid cheval de troieEffectivement, à la fin de ces recherches, je conclus qu’il n’est pas forcément très judicieux de prendre cette musique comme BO d’une vidéo LMPT. Mais pour ça, j’ai dû fouiller un bon moment, j’ai dû me taper des interviews en anglais d’un type qui, il faut le dire, m’indiffère assez violemment puisque sa musique m’emmerde.

Qu’un artiste s’amuse de ce que des gens qui militent pour une idée qui n’est pas la sienne utilisent une de ses musiques, très bien, je ferais pareil à sa place. Mais qu’il le leur reproche, les traitant même ouvertement et en public de crétins à cause de ça, ça me dérange beaucoup plus. Pas à cause de l’insulte elle-même, on commence à avoir l’habitude, mais à cause de ce que ça implique. En clair, selon Woodkid, avant d’utiliser une musique pour une vidéo, il faudrait se renseigner sur l’auteur, savoir ce qu’il pense sur tel ou tel sujet, avant de décider oui ou non d’utiliser sa musique.

Et ça, je ne le veux pas : je ne veux pas être contraint d’aimer telle ou telle chanson en fonction de ce que pense son auteur ; je ne veux pas aller voir tel ou tel acteur en fonction de ses engagements politiques ; je ne veux pas lire tel ou tel auteur en fonction de son dernier vote. Je veux juger chaque morceau, chaque film, chaque bouquin pour lui-même, pour ce qu’il est. Je veux pouvoir aimer Queen ou Woodkid et détester le Rif ou rester indifférent devant Jean-Pax, en fonction de la musique et pas des bonshommes qui la font.

Je ne veux pas tomber dans le piège communautariste dans lequel semble être en train de tomber Woodkid, et dans lequel il est en train de nous entrainer, comme le noyé entraine son sauveteur vers le fond.

Et d’ailleurs, si on y pense un peu… Ce Woodkid, ne nous le reprocherait-il pas, si nous sélectionnions nos musique en fonction de la non-homosexualité de leur auteur ? N’y verrait-il pas une preuve que nous n’aimons pas les homos ?

Je maintiens donc : je me fous de ce que tu es, de ce que tu fais, de ce que tu penses : si ta musique est bonne, je l’écoute. Si ton texte me touche, je veux le lire, même s’il ne me touche pas pour les raisons qui t’ont poussé à l’écrire. L’art échappe à son créateur dès qu’il est rendu public, c’est comme ça et c’est très bien. Ne l’emprisonne pas, ne le limite pas, ne lui coupe pas les ailes. Et surtout, ne nous oblige pas à le faire : nous ne le voulons pas.