Voici la première partie de mon compte-rendu de mission au Kosovo. Cliquez sur les images pour les agrandir et lire les légendes.
26 et 27 décembre. De Grenoble au Kosovo, près de 2000 km de route à travers l’Europe. À raison d’une pause toutes les deux heures, nous nous relayons pendant deux jours aux volants d’une voiture et d’une camionnette. Inutile de dire qu’on a le temps de faire connaissance…
27 décembre. Un kilomètre après l’entrée au Kosovo, notre première mosquée. L’impression d’être sorti d’Europe. Cette impression, nous l’aurons plusieurs fois par jour, à chaque fois que nous passerons d’une zone serbe à une zone albanaise.
Non loin de Pristina, le monument commémoratif de la bataille de Kosovo Polje, haut lieu de l’Histoire serbe. Les deux franco-serbes du convoi nous racontent cet épisode glorieux, quasi-mythologique.
Partout en zone albanaise, des chantiers dont on ne sait pas s’ils seront finis un jour. Et partout des maisons vides. L’objectif n’est pas forcément de vivre au Kosovo, mais d’occuper le terrain, de bien montrer que ce pays est aux mains des Albanais.
Arrivée à Gracanica, dont le monastère sera notre camp de base. La ville est coupée en deux. Devant l’entrée du monastère, une statue de Milos Obilic, héros serbe mort à la bataille de Kosovo Polje après avoir tué le sultan commandant l’armée ennemie. Cette statue placée sur un rond-point est un message fort adressé aux Albanais de la ville.
Nous entrons dans l’enceinte du monastère.
L’église, pluri-centenaire, de Gracanica, qui attire des touristes du monde entier, et des pèlerins de toute l’Europe.
Dans l’église, sur un des piliers, la superbe fresque, pluri-centenaire elle aussi, a été grattée pour laisser la place à une plaque en marbre noir. Sur celle-ci : « France-Serbie, 1918 ». Devant cette plaque, nous sentons que ce que nous faisons ici dépasse largement nos personnes : c’est l’amitié entre deux peuples, amitié bafouée par nos dirigeants, que nous venons renforcer.
28 décembre. Première réunion de planification. Sous l’œil de la caméra d’une chaine locale serbe, Arnaud, président de l’association, et Serdjan, le pope qui est notre référent sur place, règlent les derniers détails de la journée.
Le programme du jour : livrer une cinquantaine de poêles aux serbes les plus défavorisés de la région. Alors que les températures peuvent tomber à -15°C, avoir de quoi se chauffer correctement est indispensable.
Les bénéficiaires de notre premier poêles nous remercient alors que nous retournons vers le camion.
Une maison plus loin, nous débarquons également quelques cadeaux pour les enfants : Noël approche. Les Serbes, orthodoxes, le fêtent le 7 janvier.
Arnaud donne un paquet à un enfant en lui souhaitant, en serbe qu’il parle couramment, un joyeux Noël.
Avant de partir, nous faisons une photo de groupe : l’équipe et les bénéficiaires posent ensemble.
Arnaud dit quelques mots aux télévisions serbes présentes. Ainsi, de nombreux Serbes, du Kosovo et jusqu’en Serbie, sauront que des Français continuent de penser à eux.
Serdjan à son tour dit quelques mots pour exprimer sa gratitude et sa joie de travailler avec nous.
La mère de famille est à son tour interrogée. Au premier plan, un poteau électrique soutenu tant bien que mal par des bouts de bois.Tout ici est de guingois.
Tout autour de la maison suivante, des maisons d’Albanais. Modernes, confortables… et vides. Au premier plan, le garage de la famille que nous visitons. La maison elle-même n’est pas plus reluisante.
Le mur de la maison. Le contraste entre l’opulence des maisons d’Albanais et la misère de celle-ci fait mal au cœur. L’ambiance est pesante : nous savons tous que les habitants de cette maison partiront dès qu’un voisin leur proposera de racheter leur maison une bouchée de pain. Ils partiront dans la ville la plus proche, pour ne plus être seuls, ou en Serbie. Leur maison, elle, sera rasée : les maisons serbes étant bénies, les Albanais – majoritairement musulmans – ne peuvent pas vivre dedans. Ils reconstruiront sur le terrain une maison dans laquelle ils n’habiteront pas, ou seulement pendant les vacances.
L’humeur est plus joyeuse à la maison suivante : le père de famille nous attend devant sa maison, avec un grand sourire.
Pendant que nous déposons le poêle sur le seuil de la maison, il disparait en trombe à l’intérieur et en ressort avec son fils… et deux bouteilles.
C’est notre première Rakija (prononcer « Raki-ya »), un alcool de prune typique de la région.
Nous trinquons tous ensemble avec notre hôte, et avalons notre verre cul sec. Arnaud nous prévient : « Ne vous sentez pas obligés de tout boire à chaque fois : vous finiriez la journée par terre… »
Dans la bouteille, une croix en bois aromatique. Alcool + croix : de quoi se protéger des voisins ?
La maison suivante est en deuil, depuis 15 ans : fin 1999, après le conflit armé, le père de famille a été tué avec 13 autres paysans du village, alors qu’ils étaient aux champs. La mère se sacrifie quotidiennement pour payer des études à ses deux enfants, afin qu’ils puissent partir, vivre une vie normale ailleurs, en Serbie probablement.
Le convoi quitte le village de Racko pour se diriger vers le village suivant.
Malgré la barrière de la langue, un membre de l’équipe entame une discussion avec un villageois, après une nouvelle Rakija. Hélas, il faut faire vite : nous devons livrer un maximum de poêles dans la journée.
Sous la petite église du village, il faut pousser la camionnette, bloquée par la neige et la boue.
La livraison se poursuit sous une courte mais violente tempête de neige.
Malgré l’avenir sombre, les Serbes du Kosovo ont des familles nombreuses. L’espérance de ces gens est impressionnante.
Au cœur d’un village exclusivement serbe, cette poubelle porte un tag en l’honneur de l’Albanie. En règle générale, les Albanais du Kosovo, qui ont demandé et exigé l’indépendance, semblent avoir assez peu d’affection pour leur nouveau pays : tout ici renvoie à l’Albanie, jamais au Kosovo. « Kosovo » étant un nom serbe, ça se comprend aisément.
Dans cette barre d’immeuble, une seule famille serbe. En 2004, chassée de sa maison par des foules albanaises, elle s’est réfugiée ici, dans un taudis au rez-de-chaussée, « en attendant d’être relogés ». Ils attendent toujours. Nous leur livrerons leur poêle au milieu des drapeaux albanais, accompagnés par le chant du muezzin… Pour nous, ce furent dix minutes désagréables. Mais pour eux…
Cette petite fille serbe joue entre les barres d’immeubles où elle habite, à côté du poêle et des cadeaux déposés là pour sa famille. Alors que nous repartons vers notre camion, elle reste là à nous regarder, immobile.
À suivre…
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Articles similaires
Monsieur,
merci pour votre blog tout à fait intéressant.
Je n’ai pas le temps de lire un livre complet sur le sujet, ayant déjà des piles de retard en ce domaine, mais j’aimerais comprendre un peu mieux la situation au Kosovo et l’historique des dernières décennies. Connaissez-vous une page web ou un site à la fois bien documenté et de bon esprit sur le sujet?
A dire vrai mes seules connaissances sur le Kosovo (à part les machineries journalistiques) sont issues de Volkoff…
en vous remerciant d’avance.
Excellentes photos 🙂 hâte de voir la suite
19 Lapins, merci, les parties suivantes arriveront rapidement 🙂
Pharamond
En résumé, parce que c’est excessivement compliqué.
Lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, de nombreux Albanais ayant émigré vers la région serbe du Kosovo (anciennement appelée « Kosovo-Métochie », Métochie signifiant « terre des églises », ce qui déplaisait au régime communiste serbe) ont combattu pour obtenir leur indépendance. Armés par l’Albanie, ils ont mené une guerre d’escarmouche contre les Serbes de la région.
En 1999, alors que ça devenait trop grave pour que le régime de Milosevic continue de l’ignorer (refus d’aider cette terre très chrétienne, berceau de l’orthodoxie serbe avec ses 1300 églises ?), l’Otan a bombardé Belgrade et le Kosovo pour empêcher l’armée serbe de rétablir l’ordre, ce qui ne se serait sans doute pas fait pacifiquement. Avec à l’appui une grosse propagande anti-serbe, le mot « génocide » étant utilisé sans la moindre preuve (je ne sais plus quelle juridiction internationale a reconnu il n’y a pas longtemps qu’il n’y avait sans doute pas eu le moindre génocide. Des massacres, oui, mais comme toujours en temps de guerre, hélas. Et dans les deux camps.)
Le Kosovo a donc bénéficié d’un statut à part jusqu’en 2008, où il a obtenu son indépendance. Depuis 1999, les Serbes vivent comme des sous-citoyens dans leur propre pays, qu’ils refusent de quitter, en subissant des vagues de violence sporadiques meurtrières, les plus importantes étant en mars 2004 et en janvier 2013.
Tout ça se passe dans l’impunité la plus totale, puisque la police kosovarde est majoritairement composée d’anciens membres des milices armées ayant semé le chaos dans la région avant 1999.
Au début de l’année, des manifestations d’Albanais ont pris place à Pristina, capitale du pays : ils réclamaient la démission d’un des rares ministres serbes (qui n’ont aucun pouvoir réel) parce qu’il avait traité de « sauvages » d’autres manifestants albanais qui avaient interdit l’accès) une cérémonie de Noël à d’anciens combattants serbes, dont un qu’ils accusaient de crime de guerre. Le ministre a été viré.
En bref, les Serbes du Kosovo vivent un martyre chez eux, du fait d’une population étrangère devenue majoritaire.
Aujourd’hui, les Albanais du Kosovo fuient le pays, gigantesque usine à blanchir du pognon gagné illégalement partout en Europe. Les Albanais pauvres y sont à peine plus à envier que les Serbes, à cette différence près qu’eux espéraient le paradis sur terre, quand les Serbes, eux, ont l’habitude d’être occupés. Certains ont l’espérance, d’autres n’ont qu’un espoir déçu.
D’ailleurs, des Serbes reviennent vivre au Kosovo. Paradoxe ultime.
J’espère vous avoir un peu éclairé 🙂 Sachant que je n’ai quand même eu qu’un seul son de cloche : mon exposé n’est sans doute pas complètement objectif, malgré mes recherches sur le sujet.
@ Pharamond
Le livre de Pierre Péan « Kososo, une guerre « juste » pour un état mafieux » est pas mal. Il décrit notamment toute l’influence américaine dans le processus.
Je viens de lire l’article http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Kosovo qui me semble pas mal pour tout ce qui concerne l’avant 1999. Le paragraphe « guerre du Kosovo » pourrait avoir été rédigé par Madeleine Albright elle-même : il partial et orienté.
sinon, juste pour savoir, vous êtes passés par où pour y aller?
Prévenez-moi pour la prochaine : cela me ferait certainement bizarre de revoir Mitro, Banja ou Devic…
Popeye, via une association qui parle d’être solidaire avec le Kosovo. Vous trouverez facilement 😉
Je n’ai vu aucun des trois, alors que Banja était il me semble au programme. Quelques péripéties nous en ont empêchés. Hélas, je ne peux pas trop en dire : le sujet est délicat, vous avez l’air de le savoir.
Si l’adresse que vous avez renseignée est la bonne, je peux vous envoyer un petit mail pour satisfaire votre curiosité 🙂
Ça se renseigne, une adresse ??? 😉
Si ça demande son chemin, oui.
@fismonkov
merci pour les renseignements, j’me coucherai moins bête ce soir 😉
bon courage pour la suite
Je vous en prie 🙂
@ Fik
oui l’adresse renseignée est valide
Et c’est surtout l’aspect géographique de l’itinéraire qui m’intéresse : vous êtes passé par le nord et la Serbie, ou par le sud ?(Grèce et Macédoine, pardon ERYM/FYROM pour ne pas froisser les susceptibilités grecques)
Ah, ça je peux le dire ici : via Belgrade, passage de la frontière à Merdare, Nord-Nord-Est de Pristina. Ce qui nous permet d’éviter Mitrovica.
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