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Apprendre une affaire de pédophilie dans l’Église n’est jamais chose agréable. Mais celle-ci m’a frappé encore plus violemment que les autres : il s’agit d’un prêtre que je connais. D’un prêtre qui a créé l’école qui a fait que je suis ce que je suis aujourd’hui.

L’abbé Houard, fondateur de l’Ircom à Angers et décédé il y a quelques années, est accusé de « comportements inappropriés » auprès d’enfants, selon les mots de Mgr Delmas, évêque d’Angers, qui a immédiatement publié un communiqué.

Je n’étais pas proche de l’abbé, je ne l’appréciais même pas énormément, mais je l’ai tout de même fréquenté de mes 19 à mes 21 ans. Forcément, ça fait un choc. Mais ce choc a été accompagné d’un profond malaise. Et pas uniquement à cause des actes dénoncés.

Malaise parce que j’ai appris cette affaire par un article de la Croix. Un article que je trouve terriblement grave.

Précisons plusieurs choses avant d’analyser cet article. Bien sûr, un journal catholique doit rendre compte de ce genre d’affaires : aussi douloureux qu’ils soient, il faut parler de ces scandales. Le mensonge et la dissimulation ne profitent à personne, d’abord pas aux victimes, mais pas non plus à l’Église, qui a mille fois raison de faire ce difficile travail de transparence.

Bien sûr, il faut le faire sans rien dire qui pourrait être pris pour une minimisation des faits dénoncés, ni pour une défense a priori de l’accusé, encore moins pour un appel à dissimuler l’affaire, à la traiter « en famille », c’est-à-dire dans l’ombre.

Bien sûr, il faut appeler d’autres éventuelles victimes à se manifester, pour que la vérité soit faite d’une part, pour qu’on puisse les aider à se reconstruire d’autre part.

Tout cela, j’en suis convaincu et je tiens à le préciser.

Mais l’article de la Croix, lui, non, je ne peux pas…

Le titre d’abord :

Une affaire ancienne de pédophilie
révélée à Angers

et sa version de l’URL, qui est donc celle qu’on voit sur les réseaux sociaux, par exemple :

la-croix-houard

Il me semble, d’après le même article en tout cas, qu’il s’agit d’accusations, pas de certitudes. Est-on obligés de présenter les choses comme s’il s’agissait d’une certitude absolue ? Non, la preuve : France 3 l’a fait, en titrant ainsi :

Angers, soupçons de pédophilie :
l’évêque adresse une lettre
aux prêtres du diocèse

Un titre bien plus juste.

Le début de l’article de la Croix est très sobre et factuel : description du parcours de l’abbé Houard puis exposé des faits.

C’est au quatrième paragraphe que la Croix, à mon avis, va au-delà de ce que l’exigence de vérité lui imposait, en suggérant

« On ne peut pas exclure qu’il y ait eu d’autres victime »

A partir de là, on rentre dans de la supposition, que rien dans l’article ne vient étayer et qui n’apporte rien de plus, le paragraphe précédent se terminant par « Mgr Delmas se dit disponible pour toute autre victime potentielle », ce qui suffit amplement.

L’abbé Houard a commencé sa carrière en Bretagne, « où il semble avoir laissé un bon souvenir. « C’était un éducateur remarquable ». »

Le soupçon est déjà là : parmi ces jeunes qu’il a éduqué, il y aurait donc peut-être des victimes, qui se sont tues jusqu’à aujourd’hui. Et qu’importe que « le diocèse breton assure que rien, dans son dossier, n’évoque de faits répréhensibles ».

Le soupçon est planté. Si bien que quand on apprend ensuite que « il était très apprécié de nombreuses familles angevines », on ne peut s’empêcher de penser que certains enfants de ces familles ont pu aussi être victimes. Quand on en connait quelques-uns, c’est forcément très désagréable. Et là encore, ça n’apporte rien.

Passons sur ces deux phrases, encore plus à côté de la plaque dans le contexte et dont on se demande franchement ce qu’elles font là :

« Je ne l’ai pratiquement pas connu, il était étranger au diocèse », se souvient Mgr Jean Orchampt, qui fut évêque d’Angers de 1974 à 2000 et n’appréciait pas son « conservatisme ».

« L’abbé Houard avait sa cour, ceux qu’il aimait, ceux qu’il n’aimait pas et c’était bien d’être bien vu de lui », se souvient une ancienne guide.

Là, on entre dans le portrait à charge, sans que ça ne permette en rien de se faire la moindre idée précise sur les faits.

Mais le plus grave est à la fin de l’article :

Interrogés par La Croix, d’anciens chefs et scouts évoquent un certain malaise, à l’époque, face à ses marques d’affection trop appuyées. « Lorsque j’allais chez lui, je trouvais des louveteaux sur ses genoux, cela me gênait », raconte une ancienne scoute. « Lorsqu’un louveteau était malade, il lui proposait de dormir sous sa tente, où il y avait un second lit de camp », évoque un autre.

Qu’apportent ces deux paragraphes ? Rien, pas un fait étayé, pas un élément probant. Rien, que dalle. Uniquement une suspicion généralisée, non seulement vis-à-vis de l’abbé Houard (qui devient donc un manipulateur prêt à planifier des actes malsains sur des enfants malades), mais aussi de tous les prêtres.

Soudainement, prendre « un louveteau sur ses genoux » devient « une marque d’affection trop appuyée », source d’un « certain malaise ».

Et là, ça coince gravement. Est-il réellement utile de semer encore un peu plus le doute dans l’esprit des gens, qui bientôt, et en partie grâce à vous, ne pourrons plus voir un prêtre même sourire à un enfant sans imaginer qu’il a forcément des pensées malsaines ?

Est-ce cela que vous voulez ? Que les prêtres ne puissent plus approcher d’enfant, jamais, et donc que nos enfants ne puissent plus jamais voir de prêtre ? Non, je veux que mes enfants puissent continuer à fréquenter nos prêtres, à les voir avec ou sans nous, à être proches d’eux, parfois même à les considérer comme des amis. C’est fondamental pour eux, c’est important pour nous, et c’est aussi important pour nos prêtres, qui ont eux aussi le droit de ne pas fréquenter que des adultes. Que des hommes, parce qu’une femme on sait jamais. Et d’ailleurs, un homme non plus, en fait… Allez, qu’ils se fassent tous ermites, ça sera tellement mieux pour tout le monde !

Pourquoi ? Pourquoi cet article à charge, sur une affaire dont on ne sait rien ? Pourquoi ces insinuations ? Pourquoi s’acharner à jeter le doute sur tous les actes de l’abbé Houard, d’un prêtre, d’un de vos pasteurs ? Pourquoi aller plus loin dans l’accusation que ne le ferait la grande presse ? Pourquoi vouloir hurler plus fort que les loups ? (Qui, pour l’instant, précisons-le, ne hurlent même pas. Quand ils hurleront, ils le feront sans doute en se basant sur votre article…)

Qui est censé y gagner ? Pas les prêtres, pas les chrétiens, pas même les victimes, qui finiront peut-être par se demander si elles n’ont pas imaginé des choses. Si quelqu’un y gagne, ce n’est de toute façon pas la vérité. Vérité qui s’est incarnée dans cette personne qui est morte il y a 2000… sur la Croix.


[AJOUT le 16 février à 17h30 : un autre point qui me gène de plus en plus, c’est qu’on ne sait pas ce que c’est que « des gestes inappropriés ». Tout le monde reste terriblement flou là-dessus. Sans doute l’affaire gagnerait-elle en clarté si les choses étaient dites clairement…]