Étiquettes

, , ,

Ne me demandez pas comment je suis tombé sur cet article, je n’en sais plus rien. Il est probable que ce soit via Facebook, ce qui prouverait la dangerosité extrême de ce réseau… Quoi qu’il en soit, je l’ai lu, il m’a énervé, et je me suis dit qu’il fallait y répondre. Non pas pour tenter de faire entendre quoi que ce soit à son auteur, mais simplement pour montrer l’arnaque qui se cache, mal, dans son raisonnement.

Car oui, elle se cache terriblement mal, cette arnaque. L’auteur lui-même nous en donne une énorme piste, en pensant d’ailleurs asséner un ultime argument implacable. Folle vanité !

Pour résumer l’article, en gros c’est un prof qui dit qu’il enseigne le genre à ses élèves de première SES, et qu’il continuera à le faire malgré ce qu’en pense « la manif de la haine » (sic). Et de nous donner un exemple pour bien nous montrer, à nous les « crétins » qui nous opposons à la théorie du genre, que c’est vraiment un truc logique et évident : prenons deux jumeaux, l’un élevé normalement dans le monde, l’autre élevé dans une boite étanche qui l’empêche d’avoir le moindre contact avec le monde. Au bout de 18 ans, shazam !, les deux jumeaux ne sont pas du tout les mêmes. C’est bien la preuve que le caractère d’un individu n’est pas tout entier contenu dans ses gènes. « Si les deux enfants sont les mêmes au bout de dix-huit ans, il nous faudra conclure que la socialisation (ce que l’on apprend en étant avec d’autres personnes) n’a que peu d’importance et que la personnalité est génétiquement programmée », voilà selon monsieur Denis Colombi ce qui fait que la théorie du genre est indiscutable, à moins d’avoir « un niveau inférieur à celui de [ses] élèves ».

L’arnaque est toute entière dans cet exemple : en effet, il faut être très con pour penser qu’un gamin élevé dans une boite imperméable au monde extérieur soit le même que s’il est élevé correctement. Ne serait-ce que parce qu’après 18 ans dans une boite, il est probable qu’il soit devenu complètement dingue… Mais même sans ça, nul ne viendrait contester que deux jumeaux élevés dans des familles différentes ne resteront pas aussi semblables que s’ils étaient élevés dans la même famille. Imaginons rapidement – parce que franchement, bon – un jumeau élevé dans une famille français classique, et l’autre élevé dans une famille aborigène typique. Bon, eh bien en effet le deuxième ne boira pas son thé de la même façon que le premier.

Mais alors, pourquoi ce monsieur Colombi, qui est prof, donc a priori pas complètement débile, nous sort-il un exemple aussi idiot ? La réponse est là : en parlant des opposants à la théorie du genre, il écrit

« Comme d’autres ont transformé l’évolution en « théorie de l’évolution » pour mieux dire « ce n’est qu’une théorie, on n’est pas sûr ». Or l’évolution est un fait : les êtres vivants se sont bien transformés au cours du temps ».

Ah, la théorie de l’évolution.

Revenons un peu en arrière, à l’époque où j’étais collégien et où on a évoqué l’évolution en cours de biologie… Le professeur, doctement, nous expliqua que nous venions tous d’un même ancêtre, un vague truc aquatique, qui avait muté et avait donné un paquet d’animaux différents. Un peu comme le fait cette jolie vidéo, qui nous explique qu’un castor et un rat peuvent donner naissance à un tigre, un singe et un oiseau. Ou comme cette photo semble le montrer :

origin-human-evolutionOu comme ce schéma l’indique, de façon étonnante puisque dans l’autre sens :

evolution_baleineOu comme cette image le dit, dans on ne sait plus trop bien quel sens :

indohyusCes images, ces schémas, nous les avons tous vus, sous différentes formes, dans nos manuels de bio, dans des revues de vulgarisation scientifique pour les enfants, et même dans des documentaires, dont un que notre prof nous projeta, où l’on voyait une baleine sortir de l’eau sur ses jambes toutes neuves pour devenir un animal terrien.

Si vous avez oublié, faites le test auprès de jeunes issus de l’école publique : ils expliqueront tous l’évolution en évoquant des mutations génétiques qui font que tel animal est sorti de l’eau à un moment, ou que tel autre s’est mis à voler parce qu’il avait des ailes… ou inversement.

Et pourtant, c’est assez dur à croire. Mais c’est là que le parallèle avec l’article qui nous occupe aujourd’hui est intéressant : pour continuer son cours, nos prof nous détailla une expérience menée en Angleterre au siècle dernier, quand une région minière vit ses mines de charbon fermer brutalement. Les scientifiques constatèrent alors qu’en quelques générations, des papillons nombreux dans la région passèrent de noir à blanc, en même temps que la poussière de charbon se faisait plus rare dans le paysage. Explication logique et rationnelle : les papillons les plus sombres, devenus moins discrets, avaient subi une sélection naturelle implacable au profit des papillons plus clairs. Et en quelques générations, la couleur de l’espèce avait changé. Un mécanisme logique qui était censé expliquer la théorie de l’évolution. Et moi, jeune garçon maladivement timide, je hurlais dans ma tête : « Mais putain, comment les jambes de la baleine ont-elles pu pousser ? C’est quand même autre chose que de changer de couleur, des jambes !!! »

Mais non, la théorie de l’évolution était prouvée. Dont acte. Et quiconque la contredit se voit taxer de « créationniste » et se prend l’expérience des papillons (ou une autre du même genre ; les ours blancs marchent assez bien aussi) dans la figure, comme une preuve incontestable que l’homme descend du cœlacanthe.

C’est exactement ce que fait Denis Colombi : un présentant un exemple qui ne prouve rien d’autre qu’une évidence absolue que personne ne songerait un instant à nier, il prétend renvoyer les opposants à la niche.

Sauf qu’il oublie tout le reste.

Il oublie que l’enseignement du genre ne va plus être fait aux élèves en classe de première, mais bien plus jeune, comme le prouve cet article. Julie Sommaruga, député socialiste qui a présenté cet amendement, explique ainsi « le concept de genre, qui […] montre que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas fondées sur la nature, mais sont historiquement construites et socialement reproduites ». On est bien au-delà de la question de préférer le bleu ou le rose qu’évoque Colombi (« qui, à part un idiot ou un membre de la Manif de la Haine, aurait le culot de dire qu’après avoir été élevé dans une boîte, un individu de sexe féminin saurait spontanément élever un enfant et choisirait naturellement la couleur rose pour s’habiller ? »), et de l’exemple qu’il donne : on en est à nier les différences de nature entre homme et femme.

Il oublie ainsi que son exemple d’éducation différentes de deux jumeaux a déjà été tentée, par John Money, un psychologue qui a « fortement contribué à forger le terme anglophone gender dans son acception académique, à savoir les différences socialement construites entre hommes et femmes », nous dit la jeune page Wikipédia qui lui est consacrée et que je vous invite avec la plus ferme insistance à aller lire. Et il oublie donc, évidemment, que l’expérience a viré au drame : les deux jumeaux, dont l’un des deux, né garçon, a été éduqué en fille après une opération ratée qui lui a détruit le pénis, se sont suicidés.

La théorie de Darwin était celle que l’expérience des papillons met en évidence : les espèces évoluent, génération après génération, en fonction de leur environnement. Certains ont vu dans cette constatation logique – mais que Darwin a été le premier à prouver – un moyen de contester le récit Biblique de la création, et se sont donc attachés à faire dire à cette constatation que l’homme n’a pas été créé, qu’il est simplement arrivé par une successions d’accidents, principalement pour emmerder l’Église.

Il semble en être de même avec la théorie du genre : une théorie qui se base sur une constatation de base évidente, selon laquelle les différences entre homme et femme ne sont pas toutes contenues intégralement dans les gènes, mais aussi en partie créées ou accentuées par la société, par la culture. Mais certains s’attachent à en faire un monstre qui dirait qu’on ne nait pas homme ou femme, on le devient. Indistinctement, selon son bon vouloir… ou celui de ses parents.

Et l’objectif est fondamentalement le même : reléguer la Bible, ce vieux bouquin qui dit que « homme et femme il les créa », au rang de cale-meuble.

« Il les créa », c’est fait, reste à bousiller « homme et femme »…

Plus encore que d'habitude, cliquer sur les liens contenus dans cet article est fondamental.