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Ceci est une réponse rapide à un commentaire posté sous mon article « Féministes, les Femen ? », commentaire que vous pouvez lire en cliquant ici. Cette réponse soulève un point sur lequel je m’interroge depuis un moment, c’est pourquoi je préfère y répondre en un petit article.

Mon interlocutrice voit dans les remarques désobligeantes qu’elle doit supporter quand elle allaite en public une preuve que les gens « ne pensent qu’à ça ». Moi pas. Moi j’y vois une preuve de la gêne qu’ont les gens pour le corps humain.

Mais mais mais, me direz-vous, surtout si vous êtes bègue, ne disiez-vous pas justement que de nos jours le corps est de plus en plus exposé, montré nu en permanence ? Si si, je le disais. Et c’est là que je trouve ça intéressant, justement.

On voit régulièrement sur le site Vie de merde des histoires de jeunes femmes refusant d’aller aux toilettes chez leur copain du moment [Ajout le 18 mars : un exemple ici, un autre là]; Dubosc en a même fait un sketch me semble-t-il ; et parmi mes amies j’en connais une ou deux qui ne supportent pas l’idée. La multiplicité des exemples prouve il me semble que ce n’est pas un cas isolé, que c’est une crainte courante chez nos contemporains.

De même, le commentaire ayant provoqué ce mini-article le prouve, donner le sein en public est mal vu, assez mal vu pour que certains se permettent des remarques très désobligeantes, alors que dans le même temps on peut voir des jeunes couples se rouler des patins en public sans que ça ne semble déranger personne.

Et que dire des starlettes qui, deux jours après avoir accouché, exhibent leur ventre plat au monde entier sur Instagram ou Twitter ?

Où veux-je en venir ? Là : je me demande assez sérieusement depuis quelque temps si l’apparente opposition entre ces deux attitudes n’est pas en fait totalement logique. D’un côté, on exhibe son corps en permanence, allant jusqu’à porter des fringues dont on a l’impression qu’elles ne couvrent pas plus le corps que le ferait une bonne couche de peinture (je pense aux ignobles leggings) ; de l’autre on le cache honteusement, allant jusqu’à refuser d’aller aux toilettes chez la personne avec qui on couche.

Plus clairement : d’un côté on montre son corps en bonne santé, beau, attirant ; de l’autre on cache ses émanations, ses imperfections, ses faiblesses. En fait, on montre ce qui fait qu’il est esthétique et on cache ce qui fait qu’il est vivant.

Comprenons-nous bien : je ne pense pas qu’il faille cacher complètement le corps « esthétique ». Je le disais dans mon article cité ci-dessus : je crois qu’il faut en cacher suffisamment pour permettre une relation homme/femme qui ne soit pas qu’érotique, mais qu’il faut en montrer assez pour que cette érotisation soit possible. Je ne pense pas non plus qu’il faille montrer complètement le corps « vivant » : il est normal de cacher les choses les plus triviales, mais il faut là aussi raison garder et assumer cette vie et ses conséquences.

Le risque de cette double extrémisation contradictoire, c’est de perdre de vue le côté vivant du corps, pour ne plus mettre en avant que son esthétique. Ça donne par exemple la chirurgie esthétique, qui accentue l’esthétique aux dépends de la vie. Une poitrine siliconée donne-t-elle du lait ? Un visage botoxé ne peut plus sourire. A force d’être esthétisé, le corps ne peut plus vivre. Pire : quand il ne peut plus être esthétisé, le corps ne doit plus vivre. Et on obtient une société qui cache ses vieux, qui sont coupables d’être trop inesthétiques (ces rides, ces seins qui tombent, ces jambes qui ne portent même plus le corps, cette voix inaudible…) et pourtant encore trop vivants.

Tellement trop vivants qu’on envisage de supprimer cette vie insolente qui résiste malgré l’inutilité flagrante de ce corps qu’on ne peut plus exhiber.