Hier, je me suis engueulé avec une star de la twittosphère d’extrême-droite. Twitter n’étant pas fait pour les longs développements, j’expliquerai ici les raisons de ma remarque qui a mené à l’escalade.
Un rapport sur le harcèlement de rue a été publié il y a peu, concluant que 100% des femmes, en France, ont déjà été harcelées. Un chiffre qu’une femme a tenu à relativiser en postant ceci sur Twitter :
Immédiatement, scandale national, Twitter se déchaine, avec une rafale de tweets de ce genre-là :
En clair : dire « se faire siffler dans la rue, c’est plutôt sympa », c’est la même chose que dire « le viol c’est cool ».
[Pour l’affaire plus en détails, cliquez ici.]
Absurde, grotesque et insultant tout à la fois, ce basculement opéré par la meute dans la pensée d’une autre me fait bondir. Hélas, certains twittos militants que j’apprécie tombent dans le même panneau. Je réagis donc, en signalant qu’il est dommage de hurler ainsi avec les loups, surtout quand on a plutôt l’habitude de nager à contre-courant.
D’où escalade, insultes, et même menaces de me casser la gueule.
Quel est le problème, dans tout ça, outre que j’ai toujours du mal avec le concept de tomber tous à bras raccourcis sur quelqu’un pour une chose qu’elle n’a pas dite ?
Le problème, c’est qu’il est évident que se faire siffler dans la rue n’est PAS « plutôt sympa ». Précisons : il est évident que se faire siffler dans la rue aujourd’hui n’est pas plutôt sympa. Précisons même encore un peu plus : il est évident que se faire siffler dans la plupart des rues de France aujourd’hui n’est pas plutôt sympa.
Il y a 40 ans, quand Sophie de Menthon avait 20 ans, c’était effectivement plutôt sympa de se faire siffler dans la rue, à peu près n’importe où.
C’est ça que mon adversaire du jour aurait dû pointer : Sophie de Menthon vit dans une France qui n’existe plus.
Chef d’entreprise, chroniqueuse sur la chaîne d’info iTélé et membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), elle est un cliché de ce que sont nos « élites » aujourd’hui. Journaliste ET membre de l’institution qui a réussi l’exploit de refuser 700 000 pétitions papier, elle est de ces gens qui prétendent nous informer et nous diriger.
Et pourtant, son tweet montre qu’elle ne sait pas ce que vivent les Français, les vrais Français, pas ceux qui vivent à Neuilly ou dans le XVIe, où, effectivement, il peut être sympa de surprendre un petit sifflement admiratif de la part d’un jeune banquier qui passe par là.
Il montre qu’elle n’a pas vu que la France a changé depuis ses vingt ans à elle.
Voilà ce qu’il fallait dire sur cette affaire, au lieu de gueuler avec la foule en colère que la madame justifiait le viol. Voilà ce qui aurait été utile, et aurait peut-être justifié le statut de héraut de la droite de mon interlocuteur du jour.
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« D’où escalade, insultes, et même menaces de me casser la gueule. »
Ah oui, quand même…
En général, quand on en arrive là, ça veut dire que le sujet est sensible et qu’il devient très difficile de faire partager une position nuancée.
Je suppose que vous avez dû avoir le sentiment d’être pris entre deux feux.
C’est un phénomène intéressant. On pourrait l’appeler la « radicalisation forcée »: la conjonction d’oppositions radicales, sur un sujet donné, oblige même celui qui veut conserver une position modérée ou nuancée, à choisir son camp.
Et s’il ne le fait pas, la menace de violences fait son apparition.
D’une certaine façon, c’est également ce qui est arrivé à Sophie de Menton.
« Quel est le problème, dans tout ça, … ? »
Le problème ? Avant tout, c’est Touitteur.
« …’il devient très difficile de faire partager une position nuancée. » (Tschok)
En 140 signes ?
Non, ce n’est pas sympa. C’est une grossièreté. Point barre. Et cette bonne femme a dit une connerie.
Et les trois femmes de mes amies, bien élevées comme il faut, qui confirment que, malgré tout, c’est plutôt flatteur, c’est aussi des connes ?
Pardonnez ma réponse un poil agacée.
Je maintiens cependant le fond, et maintiens aussi qu’il faut toujours essayer d’aller voir un peu plus loin que « C’est une connerie ». Les raisons qui poussent quelqu’un à dire une connerie sont souvent intéressantes.
J’ai un problème. Je suis une femme et je ne fais pas partie des 100%, quoiqu’ayant habité en France diverse-et-enrichie. Enfin si, deux fois j’ai été suivie, abordée ou sifflée, mais vu la longueur de la mini-jupe, ce n’était pas vraiment étonnant ! 😀
Je suis persuadée de ne pas être la seule exclue des 100%. 🙂
Il faudrait s’interdire Twitter. Avec son obligation imbécile de se limiter à 140 caractères, Twitter est un accélérateur de conneries et un allumeur de polémiques idiotes. C’est même fait pour ça ! Plus les gens se prennent le chou bêtement, plus Twitter profite ! Il serait tout de même temps de s’en rendre compte…
Que les gauchos épousent Twitter, passe encore. Mais que les réacs leur emboîtent le pas, eux qui prétendent lutter contre la superficialité, le buzz, la moulinette médiatique, la propagande, les slogans, le prêt-à-penser… voilà qui dépasse l’entendement.
Il y a des gens qui ont pris des milliers de pages pour expliquer un truc, et nous, sous prétexte que c’est moderne, on croirait pouvoir penser en 140 caractères ? Pour dire des trucs intelligents ? Plus intelligents que ce que disent nos adversaires ? Allons donc…
Hélas, c’est là que s’y fait l’influence, nous ne pouvons pas nous permettre de le laisser à nos adversaires. Reste effectivement à l’utiliser (aussi) intelligemment (que possible), en évitant les grosses conneries.
Quant à penser en 140 caractères, il faudrait en parler à la Rochefoucauld 😉
Oui, mais twitter ne sert pas à penser, il sert à réagir.
Et il y a deux remarques techniques à faire: on peut utiliser des applis qui permettent en pratique de faire un message plus long que 140 caractères. Par ailleurs, 140 caractères, c’est suffisant pour renvoyer vers un lien qui, lui, peut avoir un contenu de fond.
Sur un terrain plus réflexif, on peut faire un constat: dans un système d’information complexe, comme Internet par exemple, une grande part des données qui sont échangées n’ont ni intérêt ni utilité autre que de créer et entretenir un lien social.
C’est-à-dire qu’on utilise pas un système d’information seulement dans un but utilitaire (faire ce qu’il sait très bien faire: traiter de l’info) mais aussi faire autre chose, qui n’a rien à voir: faire du « bruit » social.
Accessoirement cela veut dire que les système d’information sont souvent utilisés en-dessous de leurs performances techniques.
Du reste, on peut le constater avec nos smartphones: qui utilise vraiment toutes les fonctionnalités de son smartphone? On estime qu’un quart à un tiers des utilisateurs valorisent complètement les fonctionnalités du truc qu’ils ont dans la poche.
J’ai pas tous ces gadgeto-machins et j’en suis fort satisfait.
Très heureux même.
https://fikmonskov.wordpress.com/2015/01/24/et-si-la-vie-tranquille-ou-pas-etait-tout-de-meme-un-long-fleuve/
Le sujet me fait penser à « Femme de la Rue » de Sofie Peeters. Elle s’est équipée d’une caméra cachée dans les rues de Bruxelles, et on peut donc assister à ce qu’elle subit, une dizaine de fois par jour. Lorsqu’en zappant je suis tombée par hasard à sur ce reportage (que je n’arrive pas à trouver sur le net, uniquement des extraits), je l’ai abordé en mode « encore une féministo-féministe qui veut prouver qu’on est super opprimée par ces salauds de mâles », et puis petit à petit les souvenirs sont remontés, la peur est revenue, je me suis souvenue à en avoir les larmes aux yeux. C’était pas Bruxelles, c’était Lyon, c’était pas un quartier défavorisé, c’était dans la presqu’île. Je ne portais plus de jupe, plus de talon pour ne pas être abordée, et je me faisais quand même traiter de salope.
Non, même un simple sifflet n’est pas flatteur. Pour moi, c’est comme si on me flattait la croupe en disant « beau, ça, pas mal ! », comme à un cheval. Ca me répugne, je me sens salie, utilisée, et mon estime de moi en prend un coup.
« Un rapport sur le harcèlement de rue a été publié il y a peu, concluant que 100% des femmes, en France, ont déjà été harcelées. »
« 100% des femmes seraient « harcelées » quotidiennement »
Déjà, là, je comprends pas. On n’a pas dit qu’elles sont harcelées quotidiennement, on a dit qu’elles ont déjà été harcelées une fois dans leur vie.
Effectivement, c’est idiot de dire que les sifflets dans les rues « c’est plutôt sympa ». Les hommes qui font ça sont des goujats. Mais ceux qui confondent.
C’est également idiot de réagir en parlant de viol. Ce serait dire que 100% des femmes seraient « violées » quotidiennement, ou bien, au choix, 100% des femmes ont déjà été violées.
Enfin bref, c’est un billet intéressant. On voit bien que malheureusement, les réactions de masse profitent trop souvent aux radicaux. Un peu comme en Grèce antique.