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Ce sont mes amis de la gazette en ligne le Rouge et le noir qui m’auront convaincu : pour partager un de leurs articles, le témoignage d’une jeune fille mise en garde à vue dimanche soir après avoir été arrêtée sur l’esplanade des Invalides, ils ont commenté le lien vers icelui en ces termes : « Mathilde, dangereuse terroriste menaçant l’ordre républicain, a passé son anniversaire en garde à vue pour avoir voulu rentrer chez elle ».

RNDans cet article, la prénommée Mathilde nous écrit : « je suis restée tranquillement sur l’esplanade des Invalides afin d’admirer la rébellion en cours », esplanade qu’elle ne se décide à quitter que « sentant [sa] fin prochaine », ce qui nécessite de passer au travers du dispositif de police. En gros, ça doit vouloir dire qu’elle a décidé de partir vers 22h, soit plus de deux heures après la fin de la manifestation, et alors qu’il faisait déjà bien sombre. A ce moment-là, elle aurait eu largement le temps de quitter l’endroit plus tôt, et si elle est restée, c’est volontairement, de son plein gré, vraisemblablement en ayant conscience d’être dans une situation à la limite de la légalité.

Mon but n’est pas d’accabler ni cette jeune fille – dont le témoignage est d’ailleurs quelque peu choquant – ni mes amis du R&N. Simplement, j’ai depuis quelques temps du mal à accepter certaines méthodes que nous utilisons dans ce combat, et cette anecdote m’a décidé à vous exposer ma pensée, à vous qui avez la gentillesse d’y trouver quelque intérêt.

Le fond du problème est cette liberté que nous prenons parfois avec la vérité. Dans l’exemple qui nous occupe, c’est quasiment un détail : ce « pour avoir voulu rentrer chez elle » n’est pas à proprement parler un mensonge, tout juste une exagération par omission. Il eut été plus juste d’écrire « pour avoir voulu rentrer chez elle après avoir passé deux heures sur une place où il était clair que la police ne voulait pas qu’elle restât ».

Mais dans d’autres cas, c’est beaucoup plus limite. J’avais déjà évoqué la chose suite à l’affaire « Affreux droitard », mais je pense aussi à cette rumeur selon laquelle les Veilleurs se faisaient gazer sur l’esplanade des Invalides, rumeur propagée entre autres par des gens qui savaient pertinemment qu’il s’agissait de gaz lancés à quelques centaines de mètres des Veilleurs et portés par le vent, et non dirigés directement sur eux ; ou à ces responsables d’une des organisations menant le combat contre le « mariage » pour tous dont j’ai appris qu’ils souhaitaient dimanche annoncer des gazages sur des enfants, quand bien même il n’en a rien été (et qui heureusement n’en ont rien fait).

Tout ceci, on le comprend bien, dans le but de choquer les lecteurs, de pousser à partager les articles pour « faire le buzz », de toucher l’opinion publiques, voire de maintenir l’engagement des militants à un niveau constant.

Sauf que non : aussi juste notre combat soit-il, nous ne pouvons pas nous permettre d’user de ces méthodes. Et justement parce que notre combat est ce qu’il est, nous n’en avons pas le droit.

Une erreur stratégique,
et bien plus encore

Tout d’abord pour des raisons purement stratégiques. Cette exagération a quatre effets pervers :

1. Pour le lecteur déjà acquis à la cause, elle aura un effet irritant encore plus important que les faits eux-mêmes ;

2. Pour le lecteur non-acquis à la cause, elle diminuera au contraire l’impact de l’exposé des vrais faits ;

3. Dans tous les cas, qu’on soit pour ou contre, chaque petite liberté que nous prenons avec le vérité augmente le doute qu’on peut avoir devant chacun des faits rapportés : si une personne a déjà menti une fois, pourquoi ne mentirait-elle pas encore ?

4. Et enfin, pour nous auteurs, qui sommes plus exposés à ce risque d’exagération voire de mensonge, chaque exagération qu’un autre fait nous obligera, la fois d’après, à exagérer un peu aussi pour garder l’effet de graduation de la gravité des faits, dans le mécanisme inverse de celui dans lequel est enfermé la préfecture de police, qui doit à chaque fois montrer que le mouvement s’essouffle, quitte à balancer des chiffres grotesques.

A l’inverse, vérifions chacun de nos points à partir de ces conflits de chiffres, du point de vue de LMPT, qui s’est elle aussi laissée enfermer dans ce cercle vicieux (nous partons du principe que les chiffres de l’organisation ont été surestimés, ce dont nous ne savons rien : c’est une hypothèse de travail) :

1. Pour nous manifestants, imaginer que plus d’un million de personnes puissent être ainsi méprisées ainsi est encore plus agaçant que si nous n’étions effectivement que 150000 ;

2. Pour nos opposants, nos annonces exagérées rendent le reste difficilement audible : après tout, même si nous étions 800000, c’est toujours moins que ce que nous avions annoncé, et ça parait même ridiculement faible, alors même qu’en soit c’est déjà énorme.

3. Aujourd’hui, ni nous ni nos opposants n’arrivons plus à croire à aucun des chiffres donnés, parce que nous avons toujours des doutes.

4. Et de même que la préfecture de police s’est enfermée dans l’obligation d’annoncer toujours moins alors que le mouvement semblait pourtant prendre de l’ampleur, l’organisation de LMPT s’est enfermée dans une course au million qui finalement empêchait tout le monde de se poser vraiment la question du nombre.

Sur le plan stratégique, donc, nous ne pouvons que perdre à jouer avec les limites entre la vérité et le mensonge.

Mais nous y perdons encore plus sur un plan beaucoup plus profond et grave : notre combat est un combat pour la Vérité et contre les idéologies, quelles qu’elles soient. Nous prétendons lutter pour la Vérité, pour le réel, pour la nature, contre des gens qui ne servent que leur idéologie, sans tenir compte de ce que l’expérience concrète affirme, ce qui les pousse à nier la nature même des choses. Comment pourrions-nous prétendre servir la Vérité en nous servant du mensonge ? Comment pouvons-nous ne pas voir que, si nous usons du mensonge et que nous gagnons, finalement ce n’est pas la Vérité qui aura gagné mais simplement une autre facette du mensonge ? Car autant la Vérité est une, autant le mensonge est à multiple facettes ; c’est d’ailleurs pour ça qu’il brille autant, et trompe autant de monde.

Prudence est mère
de toutes les vertus

C’est pourquoi nous devons, et je m’inclue évidemment dans le lot en premier lieu, être toujours de la plus extrême prudence quand nous relayons une information, pour ne pas risquer de diffuser des mensonges, des approximations, des à-peu-près. C’est un combat de tous les instants, en particulier sur Facebook ou Twitter, où la parole est rapide et ne semble pas porter à conséquence, ou si peu. Et pourtant, tout ce que nous y écrivons peut être retourné contre nous, et autant l’erreur est pardonnable, autant le mensonge volontaire ne peut être justifié.

Et nous blogueurs devons être encore plus prudents, parce que des gens nous font confiance, et diffusent ce que nous écrivons sans refaire tout le travail de vérification que nous sommes supposés avoir fait. C’est pourquoi nous devons nous attacher à être d’une honnêteté sans faille et à n’écrire qu’une fois que nous sommes aussi sûrs que possible de ne pas diffuser d’informations fausses.

Car alors nous trahirions non seulement nos lecteurs, mais aussi la Vérité elle-même, et deviendrions alors de fait les ennemis de ce que pour quoi nous prétendons combattre.